Aujourd'hui le monde s'est inversé
Ils détruisent
pierre par pierre
Nous construisons
Ils montent la garde
et nous prenons la veille
Entre zone à détruire
et zone à défendre
ils surveillent
et nous veillons
Juliette
Au seuil du petit matin, Aly Sidibé a été réveillé, rapté, menotté, roulé, expulsé.
Au seuil du petit matin, Aly Sidibé, mineur non-accompagné, en première année de CAP paysagiste au Lycée Jean-Jacques Rousseau de Montpellier, qui devait passer en jugement samedi, à qui on avait trouvé un avocat, et dont la famille venait de faxer à la Police Aux Frontières son certificat d’acte de naissance qui pouvait lui permettre d’être libéré samedi, a été expulsé, par la petite porte de derrière le CRA, par la petite porte de la honte.
Au seuil du petit matin, la révolte nous gagne, on rédige un tract, on essaie de trouver une voiture pour filer à l’aéroport de Montpellier, trop tard, Aly est parti.
Au seuil du petit matin, le dégoût des puanteurs administratives, voleuses d’histoire, violeuses de vie.
Si nous accusons en premier lieu la machinerie administrative, et ceux qui la font tourner, nous sommes énervés contre Forum Réfugiés, l’association à l’intérieur du CRA, qui aide les enfermés à faire valoir leur droit, elle nous donne parfois des informations mais en retient d’autres qui nous seraient précieuses pour éviter les drames humains qui s’égrènent devant nous.
Forum Réfugiés a signé une clause de confidentialité avec le CRA, ainsi elle est tenue de ne pas tout dire, notamment, elle ne peut pas donner la liste complète des enfermés.
Nous pensons que Forum Réfugiés n’aurait jamais du accepter cette clause de confidentialité.
Qu’aucune association n’aurait du accepter ces conditions.
Qu’elle aurait du refuser de collaborer avec les CRA.
Refuser de servir de caution humanitaire à la violence étatique.
Ainsi, nous appelons Forum Réfugiés à faire grève ou faire annuler cette clause de confidentialité ou ne pas la respecter ou à quitter le CRA et nous rejoindre dans notre entreprise de démantèlement des CRA.
Les employées de Forum Réfugiés nous disent qu’elles ne feront pas grève.
Manuel assis à côté prend des notes :
Forum réfugiés
Jeudi 14 mai à dix heures du matin, visite impromptue des intervenantes de Forum réfugiés au CRA. Elles débarquent au moment où Aurélie, l'assistante sociale du lycée d'Aly Sidibé, vient nous porter la lettre de ses camarades de classe. Aurélie leur explique qu'elle a essayé en vain de les joindre pour savoir où se trouvait Aly depuis son arrestation, et si elle pouvait venir le voir. C'est par hasard, grâce à une collègue qui enseigne à Sète, qu'elle est entrée en contact avec Juliette. En revanche, elle se rappelle avoir dû fournir à la dernière minute, sollicitée par Forum réfugiés deux heures avant l'audience au tribunal, les documents scolaires d'Aly. L'intervenante de Forum réfugiés reconnaît l'avoir mise à contribution, mais se défend de faire de la rétention d'information. On a 48 heures pour faire un dossier quand un nouvel arrivant entre, nous explique-t-elle, 48 heures pour récupérer les documents qui résument toute une vie. Je suis avocate. J'ai choisi de m'engager à mi-chemin entre le juridique et l'humain. Dont acte...
Yann soulève la question de la clause de confidentialité qu'elles ont signée pour pouvoir exercer au CRA. Ils savent que nous vous donnons des noms avec la nationalité, c'est un accord tacite entre nous, lui répond-elle, mais on ne peut pas vous donner la liste. Et le numéro du vol que devez prendre Aly ? On n'avait pas cette information, s'en défend-elle : pour nous, le dossier de Monsieur Sidibé est clos. Dans la sidération qu'a provoqué le départ d'Aly, la phrase fait l'effet d'une douche froide.
Nous avons réussi à mobiliser un collectif parisien qui est allé distribuer des tracts cet après-midi à l’embarquement de l’avion mais le famille d’Aly en Côte d’Ivoire vient de nous informer qu’il est arrivé en Côte d’Ivoire.
Nous sommes désemparés.
En état de choc.
KO.
Énervés.
Déçus.
Nous avions demandé la libération de Moussa Kanté et Aly Sidibé.
La police les a fait passé par derrière, la préfecture n’a aucunement tenu compte de nos mails, de notre action, de nos demandes.
Une voiture de la PAF arrive
à l’arrière deux hommes nous font des signes
ils ont vu notre campement
et par signes nous demandent de les aider, de les appeler, de venir
nous leur faisons des signes aussi
nous avons réussi à avoir leur nom, nous leur rendrons visite demain.
Le visites justement, aujourd'hui nous avons rencontré :
Mohammed
dix-sept ans et demi
entame sa deuxième semaine au CRA de Sète
très éprouvé après ce qui s'est passé ce matin
il nous parle d'Aly Sidibé et, tout en nous parlant,
se demande s'il ne sera pas le prochain sur la liste
ils sont venus le prendre dans sa chambre, il était huit heures du matin,
il a résisté, mais ils l'ont pris par la force, c'était tellement brutal, nous explique-t-il
on est venu voir, on a rien pu faire, ils étaient quatre ou cinq
il serre contre lui un cahier d'écolier sur lequel il a écrit avec application,
l'histoire de sa vie, tout simplement
du haut de ses dix-sept ans et demi
sa famille de cœur, comme il dit,
lui a donné ce cahier lorsqu'il est entré au CRA de Sète,
pour en faire un livre lorsqu'il en sortira
il s'accroche à ce cahier autant qu'à cet espoir,
comme le dernier lien qui le rattache à cette famille
mes anges, nous lit-il, je les appelle mes anges dans le livre
et l'espace d'un instant il esquisse un sourire qui, mieux qu'un test osseux,
atteste de son âge
Manuel
Bassem
quarante-deux ans
arrêté par la PAF au péage de Chalon-sur-Saône la veille
il a été transféré le 14 juin au CRA de Sète
en France depuis six ans
vit à Paris avec sa compagne et son fils de trois ans
passe samedi 16 juin devant le juge des libertés
il nous regarde avec le regard perdu de celui qui se demande où il se trouve
Manuel
Ikram
Ikram s'assoie en face de nous, il se frotte les yeux et quand il les lève vers nous, c'est dans son regard fatigué, très fatigué, que nous nous efforçons de lire, parce que très vite nous réalisons que Jacer ne comprend et ne parle que très peu le français. Il répète « France » aux questions que nous tentons de lui poser concernant son lieu d'arrestation et son lieu de naissance... Au bout d'un moment, nous croyons comprendre qu'il est tunisien, qu'il a été arrêté à Lyon, chez sa sœur, dont il attend de l'argent, et qu'un avocat lui aurait dit qu'il sortirait dans 15 jours. Mais la communication est très laborieuse et nous ressortons sans être bien sûres de nous, de la parole que nous retranscrivons ici. La seule certitude, son immense fatigue et son isolement. Nous le quittons en lui assurant, les yeux dans les yeux, qu'il n'est pas seul. Il sourit et remercie. Nous ferons le nécessaire ensuite pour lui procurer un téléphone (le sien est hors d'usage) et faire en sorte qu'il reçoive la visite d'une personne du collectif qui parle arabe.
Mandy et Juliette
Un poème de Colette Piedcoq écrit hier
Occitanie, Terre d'accueil
Méli-mélo mélangeons nous
Mots d'ici et mots d'ailleurs
Ouvrons les bras ouvrons nos coeurs
Ouvrons nos têtes
Port ouvert, portes ouvertes,
Et mains tendues
Dans notre belle ville Sète
Bonjour amis et Bienvenue
Cassez cassons les CRA et qu'ils s'écroulent
Je le crie je le crierai et l'écrirai Mur par mur et pierre par pierre
Mettons les tous à terre
Démantelons les maintenant
Désenfermons les enfermés Nous danserons dans les gravats
Monsieur le Préfet en restera baba Quoi, il ne fait plus la loi ? Le voilà tout désapointé, Chacun son tour, Monsieur le Préfet
Prenez donc des vacances Un joli avion vous attend Pour vous emmener loin de France Dans un pays dit émergeant C'est exotique et c'est facile Vous y demanderez l'asile Dans les gravats des CRA des plantes fleuriront
Un jour viendra couleur d'orange Où les gens sèmeront Dans la beauté du monde et la douceur de vivre
À l’instant nous venons d’avoir Aly au téléphone, il est à Abidjan.
« J’ai été pris par force 10 policiers contre moi seul je vous le jure
ils m’ont attaché sauvagement »
dans l’avion, il a crié
il a insulté
il a fait des efforts pour alerter
ils lui ont dit que s’il continuait comme ça il allait être interdit de territoire européen
ils l’ont attaché aux pieds et aux mains à l’arrière de l’avion
personne n’a bougé
« ils m’auraient libéré si j’étais resté »
à 17H un jeune violoncelliste est venu jouer et chanter des chansons
à 18H un groupe de Capoeira est venu répéter à côté de nous
puis nous avons entamé une Assemblée Générale
assemblée du doute
de l’état de choc
de la remise en question
de l’affirmation des différentes positions
des avis divergents
Est-ce bien sérieux de vouloir démanteler les CRA?
D’imaginer que l’on pourra négocier avec le préfet? le ministre?
D’imaginer même qu’on réussira un jour à faire libérer un des enfermés?
Ne se berce-t-on pas d’illusions?
On fait quoi maintenant?
Mathieu pour Excradition Générale
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Photo : Ernest Puerta

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